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L'Histoire n'est qu'une histoire à dormir debout
26 août 2007

La Navy au XVIIIe siècle

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Le HMS Victory, navire de ligne de 100 canons, armé en 1765 et ayant servi pendant la guerre d'indépendance américaine.

Au XVIIIe siècle, l’Angleterre devient maîtresse des mers et maîtresse d’une économie-monde européenne qui s’étend sur tous les océans et particulièrement sur l’océan Atlantique. Cette puissance est indissociable d’une politique navale développée grâce à un Etat fort et militarisé : Adam Smith, grand économiste anglais du XVIIIe siècle, place d’ailleurs au premier rang les dépenses de l’Etat afin d’entretenir une armée et les considère comme source de progrès. Cette force militaire, pour les Anglais, c’est la Royal Navy.

La Navy constitue la première flotte permanente britannique fondée par le roi Henry VIII pour contrer la menace écossaise – alors alliée française – dans la première moitié du XVIe siècle. Le monarque avait, dès 1546, fondé un conseil de la marine afin d’en gérer les structures : le Navy Board.

Il s’agira d’abord de comprendre pourquoi la Navy a acquis une telle place en Angleterre et de voir quels en sont les traits généraux; puis, il s’agira de présenter les chantiers et arsenaux de la Navy, afin de cerner leur technique très originale de production navale ; enfin, nous nous intéresserons aux membres constitutifs de la Navy, les officiers mais aussi les matelots qui sont fondamentaux afin de justifier la toute puissance de cette flotte, mais aussi parfois les tensions qui y règnent.

C’est en 1688, au moment où est déclarée une seconde Guerre de Cent Ans introduite par la guerre de la Ligue d’Augsbourg, que l’Angleterre engage de profondes réformes militaires et fiscales afin de développer un Etat militaire capable de tenir tête à la France. Si le développement d’une armée terrestre est en question, c’est la Navy qui l’emporte pour une raison profondément pragmatique : les Anglais se savent bien incapables de mettre sur pied une armée terrestre susceptible d’égaler, voire de surpasser, des armées continentales telles que les armées prussiennes ou même françaises. L’Angleterre mise donc sur son insularité afin de protéger son commerce et de dissuader toutes tentatives d’invasions.

Entre 1680 et 1780, la Navy triple de taille et le Premier Lord de l’Amirauté, à la tête de l’administration navale, devient un personnage essentiel du gouvernement du XVIIIe siècle, en liaison étroite avec le Premier ministre. Même si l’organisation de la Navy est complexe (il faut par exemple trois signatures pour avaliser une décision du bureau), la flexibilité est bien réelle et deux commissaires arrivant de Londres peuvent suffire à reconstituer une sorte de Navy Board sur le terrain, ce qui est bien sûr inimaginable dans la Royale française. Si la Navy est très impliquée dans la guerre d’escadre, elle sait aussi s’adonner à d’autres stratégies navales comme la guerre de course afin de piller les navires marchands ennemis, et particulièrement français.

Si cette dernière stratégie peut rapporter gros, la Navy reste cependant très coûteuse : bien que le personnel reste moins nombreux que celui de l’armée (pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, l’armée britannique comptait 76 000 membres et la Navy 40 000), les dépenses en faveur de la Navy restent supérieures (un marin coûte plus cher qu’un soldat et l’Angleterre fait des aménagements très importants). Ces dépenses sont croissantes au cours du XVIIIe siècle : le nombre de marins augmente et celui des tonnages s’accroît, doublant entre 1714 et 1760. Concernant les navires les plus souvent usités par la Navy, la période de 1713 à 1739 voit l’accroissement des grands vaisseaux de ligne lourdement équipés, et c’est grâce à une nouveauté d’inspiration française, la frégate, que la Navy s’allège. En 1748 apparaissent les premiers exemples de ces navires légers et rapides : l’Unicorn et le Lyme. La production navale reste continue tout au long du XVIIIe siècle, mais ces vaisseaux coûtent très cher (un 1er rang, soit 2000 tonneaux, coûte 40 000 £) et leur entretien est aussi très onéreux (13 000 £ tous les 6 mois). Pour remédier au coût élevé du travail, l’Angleterre développe alors un système original mêlant chantiers et arsenaux.

C’est encore à partir de 1688 que la Navy, qui possédait déjà les arsenaux de Portsmouth ou encore de Deptford élargit ses capacités : à Portsmouth sont rajoutés deux nouvelles calles sèches et deux bassins de radoub et à Plymouth est construit un chantier. Ces deux centres, l’un gardant la Manche et l’autre protégeant l’Angleterre par l’Ouest sont les plus importants de la Navy. Celle-ci bénéficie aussi d’un réseau logistique essentiel notamment pendant la Guerre de Sept ans grâce à Port Mahon à Minorque ou Port Royal en Jamaïque. Ces arsenaux sont les plus grandes entreprises anglaises, mais malgré ces phases d’expansion, les capacités ne sont pas suffisantes pour la Navy, qui fait aussi appel aux chantiers privés, plus concurrentiels. En effet, les arsenaux anglais manquent de main-d’œuvre qualifiée, les conditions de travail sont difficiles et les grèves se répètent. La Navy s’en remet alors au privé, surtout à partir de la guerre de Succession d’Autriche. Mais les contraintes sont nombreuses : la nécessité de contrôler ce travail, la régularité des approvisionnements et les finances des contractants…

Ce système mixte, privé et public favorise l’uniformisation du type de navire et les innovations car les constructeurs privés cherchent à abaisser les coûts et rentabiliser leurs contrats. La construction navale anglaise fait partie des quelques secteurs où le gouvernement développe une politique d’innovation proche de celle que connaît la France, tout en faisant jouer la concurrence. La politique du gouvernement en matière navale tient en quelques mots : «  La méthode incontournable de la Navy de passer contrat avec les propositions les moins chères », ce qui peut parfois laisser la qualité à désirer. En même temps, le recours croissant aux chantiers privés aboutit à la formalisation. A partir de 1745, tout constructeur, qu’il soit sur un chantier privé ou un arsenal, est obligé de se conformer à un dessin fourni par le Navy Board. Ce système original est ce qui fait, en partie, la spécificité de la marine anglaise, notamment par rapport au système de construction navale français. L’une des autres grandes différences concerne le personnel au service de cette Navy, particulièrement les officiers.

L’équipage sur un vaisseau de la Navy constitue un monde complexe dans lequel la place de chacun est définie par une partition essentielle, celle des grades, qui épouse ou non l’appartenance à la noblesse (ce qui est bien différent de ce qui se passe en France). Nicholas Rodger définit cette hiérarchie :

- les officiers aux grades les plus prestigieux, le plus souvent nobles, les « commissioned officers » (officiers pourvus de commissions) qui peuvent devenir amiraux et commandants-en-chef, eux-mêmes relayés par les chef d’escadres ou « commodores »;

- les officiers détenant un mandat, le plus souvent roturiers, les « warrant officers » (dont font partie les maîtres d’équipage ou masters, les chirurgiens, intendants, canonniers…) ;

- les officiers inférieurs comme les armuriers ;

Le fait qu’il n’y ait pas de restriction à l’accès au grade d’officier pour les roturiers, contrairement à la Marine française, permet la formation d’un groupe plus nombreux (plus du double de l’effectif français à la fin du XVIIIe siècle). Ces officiers sont formés d’une manière toujours orientée vers la pratique, ouverte sur les mathématiques et la navigation. Le candidat officier, pour être admis à l’examen, passe devant une commission qui lui fait passer un oral de navigation, et doit pouvoir justifier de six ans de mer dont deux sur des bâtiments de la Navy. Le trait essentiel de cette hiérarchie est que la compétence et les perspectives de carrière (l’ascension sociale est commune dans la Navy) forment un corps d’officiers de grande qualité. En outre, Navy et flotte commerciale s’interpénètrent, laissant aux officiers la possibilité d’enrichir leur expérience en temps de paix.

- le capitaine qui commande le reste de l’équipage et qui se situe, dans la hiérarchie, après le commodore ;

- le reste de l’équipage, divisé *en hommes de quart qui ont une vie rythmée comme les officiers (les « petty officers » comme les timoniers, et les matelots en général),

                                                            *en serviteurs, en fait des apprentis protégés des officiers.

En temps de guerre, la mobilisation anglaise afin de gonfler les effectifs de la Navy est lente : alors que la France a adopté le système des classes (c’est-à-dire la conscription), la Navy, elle, choisit la presse ou press gang qui sème la terreur dans les quartiers populaires de Londres et des grands ports. Les marins ainsi « recrutés » sont peu payés par la Navy et les commandants de bord n’hésitent pas à retenir leurs salaires pendant plusieurs années pour dissuader les désertions. Les mutineries sont en conséquences courantes sur les vaisseaux (en tout cas, elles sont beaucoup plus nombreuses que dans la marine française). Markus Rediker fait du navire de la Navy un espace de tensions : le capitaine dispose notamment de tout un arsenal d’instruments pour procéder aux punitions, les hommes sont rationnés et la brutalité est quotidienne. Le film Les Révoltés du Bounty (1961) qui se déroule entre Tahiti et la Jamaïque illustre les maltraitances supportées par certains équipages dans la Royal Navy.

Le système de la presse, ainsi que les tensions qui peuvent en résulter, sont sans doute les plus grosses faiblesses de la flotte anglaise. La mobilisation est si lente que la Navy doit avoir recours aux navires stationnaires (équipés en permanence dans les ports) et le manque de volontariat, en plus des maltraitances supportées par les matelots, est facteur de conflits. En revanche, ce système permet à la Navy de mobiliser des effectifs plus nombreux que la Royale. En 1790, l’Angleterre peut mobiliser 100 000 hommes, la France 78 000.

Les différences entre la marine anglaise et la marine française sont grandes : malgré ses faiblesses, c’est la Navy qui s’est imposée au cours du XVIIIe siècle et c’est même elle qui est la cause et l’inspiratrice des grandes mutations de la Royale. Pour conclure, il est intéressant de faire le parallèle entre les deux grandes marines rivales.

Après la Guerre de Sept Ans, la marine française est défaite et dans un état lamentable, le duc de Choiseul propose alors une réforme à partir des deux ordonnances de 1764 et 1765, puis le maréchal de Castries propose le code Castries une quinzaine d’années plus tard. Les réformes engagées indiquent clairement que les deux secrétaires d’Etat à la Marine se sont très largement inspirés de l’organisation de la Royal Navy, considérant certainement qu’elle était à l’origine de son succès. Grâce à elles, les grands inconvénients de la Royale française se résorbent progressivement à la fin du XVIIIe siècle : il est décidé d’ouvrir le corps de la Marine à des officiers d’origines sociales diverses, de donner à ces derniers une plus grande marge de manœuvre sur le terrain, de les former de manière non plus seulement théorique mais aussi pratique. Enfin, en 1791, la Révolution finit de réformer la marine française d’Ancien Régime en fusionnant marine militaire et marine de commerce, la carrière militaire est ainsi ouverte aux marins de la marine marchande. Tout cela n’est pas sans ressemblance avec ce qui a pu être présenté précédemment pour caractériser la Navy et il est difficile de croire au hasard.

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Commentaires
D
Y en a un tout petit peu...et puis c'est pas cru...enfin je pense. Ca y est je suis toute rouge !
T
Quand j'aurais fini (et que je saurais où tu veux nous emmener), je te suggèrerai un titre.<br /> Mais dis donc, dis donc, il y a du sesque quand même !!! c'est vendeur ça !!!
D
hihihi ! tu dois avoir bien avancé déjà...j'espère que ça te plaît toujours autant !! EN tout cas je suis en train de réfléchir à un titre. Qu'est ce que tu penses de la Nécropole des Rois ? Ca montre la mort de la monarchie (cf. Révolution), et même encore plus qu'on a enterré la monarchie, et en même temps ça a un rapport avec saint denis et fontevraud...
T
Article très intéressant pour moi qui n'y connaissait rien au sujet ! en plus il n'est pas trop long et on peut s'instruire sans trop "se prendre le chou" comme tu dis. <br /> Je suis plongée dans ton roman et le suspens est insoutenable !!!
A
J'ai l'air malin avec mon zodiac!
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