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L'Histoire n'est qu'une histoire à dormir debout

23 juillet 2008

Merci, merci , merci !

dessin_marie

Ca n'a rien à voir avec l'histoire, mais c'est ma petite histoire personnelle : je tenais à remercier ma famille et mes amis de m'avoir souhaité si chaleureusement mon anniversaire, de m'avoir autant gâtée aussi. La journée d'hier était dense mais merveilleuse, et je suis prête à faire de jolies petites tartines de beurre pour PCR.

Merci à Mamie, Grand-Père, papa, maman, France, Vincent, Clément et Baptiste, Florent et Virginie, Tontonono et Tatacicile, Franck et Sylvette, Christine et Tony, Sébastien et Barbara, Monique et Marc pour m'avoir souhaité cet anniversaire de divers façons, à  Fred, Eugénie, Céline O., Céline P., Matthieu, Mickaël et Johan pour l'anniversaire "bougies-gâteaux", à Marie Chouchou pour le joli dessin que j'expose sans vergogne dans cet article, à Marie Mimine pour ses gentils messages toujours très drôles, à Fabiche et Yohan pour leurs petites pensées, à Arnaud et Arnauld pour leurs coups de téléphone et mails, aux deux Pauline qui m'ont bien fait rire, à Brice (c'est son anniversaire aujourd'hui)...et combien j'en oublie ! 

Et maintenant, c'est parti, du bon pied, pour la vingtaine !!!! 

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21 juillet 2008

George Sand et Nohant

J’ai été marquée par Nohant dès mes 11 ans. A l’époque, je n’avais aucune idée de qui était George Sand, j’écrivais encore « George » avec un « s » et je pensais que c’était un homme, peut-être un Anglais. Bref, j’avais tout faux.

Lorsque je suis arrivée dans cette grande maison, ni trop prétentieuse, ni trop chiche, j’ai pensé que j’aimerais bien y vivre : tout était prêt à m’accueillir. La table était mise et j’aurais eu à mes côtés Alexandre Dumas fils – je ne savais pas encore non plus que c’était l’auteur de la Dame aux Camélias, et non pas des Trois mousquetaires – et pourquoi pas Tourgueniev, que je confondais sans vergogne avec l’auteur de Guerre et Paix, alors qu’il est celui de Père et Fils. Il n’y avait que Flaubert que je connaissais vaguement, et encore, je croyais que Madame Bovary était l’auteur du roman, et non pas un titre. Ce que j’étais inculte ! J’avais lu un condensé du Roman de la Momie de Théophile Gautier, et j’ai pu aisément reconnaître l’homme qui avait réclamé un peigne à George Sand un soir, et qui en avait obtenu un nombre considérable le lendemain. J’avais aussi une notion vague des tableaux de Delacroix, que j’imaginais pourtant plus flous qu’ils ne sont en réalité.

Cela fait neuf ans maintenant, et j’ai comblé mes lacunes. J’ai lu Flaubert, j’ai lu Alexandre Dumas fils pour compléter la dynastie, il n’y a que Tourgueniev qui manque encore à ma bibliothèque. Mais surtout, j’ai lu Sand. Ce n’est pas tant sa littérature que j’apprécie. Elle est souvent un peu trop champêtre à mon goût et je suis plus encline à lire un Zola urbain (même si La Terre est un excellent roman de Zola). C’est plutôt son personnage qui m’interpelle : une force de caractère, un esprit courageux, des réflexions souvent profondes et une capacité à attirer les hommes talentueux et inspirés. Un monde d’artistes gravitait autour d’elle, comme les planètes gravitent autour du soleil. Parfois, il y avait des incidents : des brouilles avec Mérimée suite à une nuit d’amour décevante, avec Liszt et Marie d’Agoult après avoir été les meilleurs amis du monde, avec sa fille, Solange, qui est actuellement décrite comme le prototype de la peste pour avoir entraîné la rupture de George et Chopin. Des scandales, comme lorsqu’elle portait des pantalons et fumait le cigare en public, lorsqu’elle entretenait des relations saphiques avec Marie Dorval. Et puis, bien sûr, des passions plus ou moins orageuses qui font encore rêver, qui sont aussi un fond de commerce florissant pour les cinématographes et les Monuments nationaux : Jules Sandeau, à qui elle doit son nom, Alfred de Musset, qu’elle trompait avec le docteur Pagello après avoir été elle-même trompée avec des prostituées de Venise, Frédéric Chopin, de qui elle fut plus la mère, la sœur, l’infirmière, que la maîtresse…

George Sand ramène à elle tous les plus grands artistes du XIXe siècle, c’est sans doute pour cela, aussi, qu’elle fascine. A Nohant se sont côtoyés des génies du siècle… ou doit-on parler d’ « Enfants du Siècle » ? Grande enfant, cette George ? Peut-être, lorsqu’on lit ses contes, ou même ses romans comme la Petite Fadette, Cendrillon du XIXe. Peut-être aussi lorsqu’on visite le théâtre, où elle aimait jouer et mettre en scène dans un décor de poupée, et que l’on admire le théâtre des marionnettes de son fils Maurice, marionnettes qu’elle aimait habiller. Mère attentive aussi, qui a fait planter deux grands chênes pour la naissance de ses enfants, et qui a demandé à les voir en mourant. Grand-mère gâteau qui aimait faire des confitures avec les fruits de son jardin. Et puis ses dernières paroles avant de s’éteindre en 1876 : « Laissez verdure »... 

21 juillet 2008

Le retour...

Me revoilà après un grand moment d’absence, pour mon plus grand plaisir et, je l’espère, le vôtre. J’ai eu une année très occupée et fort studieuse mais, heureusement, mes efforts ont été largement récompensés. Plein de projets m’animent maintenant, notamment mon sujet de recherche. Dans le courant de l’année, je pense utiliser ce blog afin de vous informer sur l’évolution de mes découvertes (ne vous attendez tout de même pas à des révélations fracassantes).

Autre projet : commencer en cours transversal de mon master une formation à la théorie et la pratique de l’édition… « histoire » de pouvoir toucher du bout des doigts ce métier d’éditeur que j’aime tant…et qui sait peut-être entamer un master 2 édition (à 10 500 euros l’année, on peut rêver).

Je reviens tout juste de vacances chez Aldea et Petit Chaperon Rouge. C’était très agréable, comme toujours. Pour redonner vie à ce blog délaissé (je comprends ceux qui en ont assez de voir la trogne de Julien l’Apostat, n’est-ce pas mère grand ;-) ), je vais rédiger un peu plus tard un article sur Nohant avec les photos (si elle me le permet bien sûr), de ma chère PCR. Ce sera une occupation pour cet après-midi…

Certains commentaires m’ont beaucoup touché et m’encouragent à alimenter ce blog. Je suis flattée par les élèves qui m’ont remercié d’avoir écrit certains articles et qui ont, grâce à eux, réussi à avoir de bonnes notes. Faire de ce blog quelque chose d’utile était un objectif que je voulais atteindre.

A bientôt donc…

21 octobre 2007

Julien l'Apostat

julien

La vie et le règne de l'empereur romain Julien dit l’Apostat, ou Julien II, ont tous les deux été brefs. Pourtant, ce neveu de Constantin le Grand, né en 331 et mort en 363, laissa une trace indélébile dans l’histoire, et autour de lui se forgea une légende tantôt dorée, tantôt noire, selon les époques.

Sa légende noire, il la doit surtout à son apostasie, d’où son nom Julien dit l’Apostat. L’apostasie signifie le renoncement consenti et réfléchi à faire partie d’une organisation religieuse : Julien, lui, renonça à faire partie de la communauté chrétienne, pour se tourner vers le paganisme des traditions. C’est souvent cet aspect que nous retenons de Julien, en omettant qu’il fut aussi un homme d’action et un grand intellectuel (un des plus grands auteurs du IVe siècle). Il fut véritablement un empereur philosophe comme il n’en avait pas été depuis Marc-Aurèle, son grand modèle, et un empereur qui, semble-t-il, avait comme ambition de revenir à l’âge d’or d’Alexandre le Grand et du haut empire romain. 

Les sources contemporaines au sujet de Julien sont assez abondantes, mais particulièrement partiales : elles furent rédigées par des proches païens plus ou moins radicalement gagnés à sa cause, comme Libanius ou Ammien Marcellin, ou au contraire des chrétiens, choqués par son attitude, comme Grégoire de Nazianze. Ce qu’il y a cependant d’exceptionnel avec le personnage de Julien, c’est que lui-même a laissé des traces écrites de son existence, qui nous sont parvenues en grande majorité aujourd’hui, et qui restent le meilleur indicateur sur sa personnalité.

Ma bibliographie s’est essentiellement composée de l’Histoire générale de l’Empire romain de Paul Petit, et les biographies Julian The Apostate de G.W. Bowersock, La Vie de l’Empereur Julien de Joseph Bidez et Quand notre monde est devenu chrétien de Paul Veyne, et plus accessoirement de l’Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon et du Dictionnaire Philosophique de Voltaire, ainsi que quelques consultations des Oeuvres complètes de Julien établies par Gabriel Rochefort.

C’est grâce à l’ensemble de ces sources que nous pouvons retracer l’existence brève de Julien, homme d’action, homme de lettres, divisée en trois étapes majeures : d’abord, de 331 à 361, sa jeunesse mouvementée, menacée mais marquée par une éducation déterminante, jusqu’à ce qu’il soit élu César en 361 ; ensuite, de 362 à 363, Julien devient Auguste, nous verrons de quelle manière et nous verrons également son action pendant ce règne ; enfin en l’année 363, nous verrons la fin du court règne de Julien, marqué tout particulièrement par la campagne de Perse.

Julien, de son nom latin Flavius Claudius Julianus, fils de Jules Constance et de Basilina, est né en 331 environ. Il est le neveu de Constantin le Grand.

Cette hérédité est assez lourde à porter pour le jeune Julien, dont la vie, comme celle des membres de sa famille proche, a souvent été menacée par l’empereur et même la mère de celui-ci, Hélène.

En effet, pour comprendre la filiation de Julien, il faut remonter à Constance Chlore, qui a eu deux fils issus de deux mariages différents :

-         du premier mariage avec Hélène est né Constantin, qui a eu lui-même trois fils avec Fausta : Constantin II, Constance II et Constant, ainsi qu’une fille Hélène, qui va devenir l’épouse de Julien.

-         du second mariage avec Théodora, est né Jules Constance, le père de Julien, lui-même marié une deuxième fois avec Galla, de qui il eu un fils, Gallus, ainsi que Dalmace et Hannibalien que nous allons rencontrer.

Ainsi, le père de Julien était le demi-frère de Constantin.

Mais Jules Constance et ses enfants eurent d’abord à craindre la jalousie d’Hélène, première épouse de Constance Chlore répudiée, qui l’écarta de Constantinople. Il ne revint qu’en 330, à l’appel de Constantin. Celui-ci, lors de ses Tricennales en 335, énonça son projet de partage de l’empire qui favorisait ses trois fils (Constantin, Constance et Constant) ainsi que Dalmace et son frère Hannibalien, l’un devenant César en 333, l’autre Roi des Rois à la charge de l’Arménie et du Pont. Constantin s’entourait, en outre, de tous ses frères lors des Conseils d’Etat.

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Mais après la mort de Constantin, en 337, une lutte féroce pour la succession commença. Profitant du soutien de l’armée, les trois fils de Constantin évincèrent la branche cadette de la famille, et se partagèrent le pouvoir en septembre 337. Ils devinrent tous trois les nouveaux Augustes. Par la même, ils décimèrent la famille de Julien de peur des usurpations (Jules Constance mourut, ainsi qu’Hannibalien et Dalmatius). Seuls Julien et Gallus survécurent, sans doute épargnés en raison de leur jeune âge.

Les deux enfants continuèrent à grandir en Bithynie, chez leur mère, où ils se réfugièrent en craignant sans cesse un arrêt de mort. Puis, en 342, l’Empereur Constance II imposa l’exil aux deux jeunes garçons, désormais en âge de le menacer plus sérieusement. Julien et Gallus furent internés dans l’ancien palais des rois de Cappadoce, Marcellum. En 361, Julien raconta ces six années de captivité dans la Lettre aux Athéniens, de ses douze à dix-huit ans : il était coupé de ses anciens amis, surveillé comme s’ils avaient été des prisonniers dans une « garnison de Perses ».

Malgré cette enfance agitée, Julien développa très tôt le goût pour la lecture et l’apprentissage, et reçut une éducation soignée.

Pendant leurs premières années, l’éducation de Julien et Gallus fut confiée à Eusèbe de Nicomédie qui, selon Ammien Marcellin, contribua certainement au sauvetage des jeunes enfants. Ce dernier s’affaira à leur enseigner la doctrine arienne. Julien, dans la première partie de sa jeunesse, ne cessa jamais de se comporter comme s’il était animé d’une ferveur sincère. Les derniers de ces écrits sont d’ailleurs encore pleins des impressions qu’il avait reçues et des observations qu’il avait faites, tandis qu’on l’initiait aux mystères de la foi chrétienne. Malgré tout, déjà, Julien s’avérait plus réceptif à d’autres connaissances : dans son Misopogon (363), Julien mentionna l’eunuque scythe Mardonius, qui l’éleva dans le culte d’Hésiode, d’Homère et de Platon, et lui inculqua les bases de la culture helléniste classique.

Puis, pendant les six ans qu’il passa à Cappadoce, Julien lut énormément, surtout des auteurs païens de philosophie et de rhétorique. C’est pendant ces années bercées de culture hellénistique et d’écrits païens que Julien conçut progressivement une aversion contre la religion qu’on lui imposait par de continuels et stricts exercices de piété chrétienne. Il était plutôt féru de l’antique paideia (formation du grec).

En 348, Constance II demeuré seul Auguste changea d’avis à l’égard de ses cousins et Julien fut autorisé à poursuivre ses études à Constantinople, où il devint élève de Nicocles (un païen rival de Libanius) et d’Hecebolius (rhéteur chrétien), puis il se rendit à Nicomédie, où il dévora les écrits de Libanius, devenant disciple du grand sophiste.

Alors que son demi-frère, Gallus, avait été nommé César par Constance II en 351 – certainement pour soulager le seul empereur de sa lourde tâche, l’empire étant notamment sous la menace des Perses – Julien, lui, continua à voyager pour s’instruire. Il se rendit en Asie Mineure, afin de bénéficier des enseignements néo-platoniciens : d’abord à Pergame, où il apprit du vieil Aedesius l’interprétation des écrits de Platon. Puis, à Ephèse où l’hiérophante[1] et néo-platonicien[2] Maxime lui fit abjurer le christianisme et l’initia aux cultes de Mithra (culte de la divinité solaire). Julien date lui-même son abjuration en 351. A cette occasion, Libanius écrivit à Julien que sa conversion était « le commencement de la libération du monde ».

Dès lors, Julien se livra :

- aux sciences occultes,

- à la théurgie (qui permet à l’homme de communiquer avec les « bons esprits » et d’invoquer les puissances surnaturelles),

- aux doctrines de Jamblique de Chalcis qui considérait la théurgie comme le moyen pour l’âme de se diviniser,

- à la thaumaturgie (miracle de prophétie).

Toutefois, Julien ne cessa pas de pratiquer extérieurement le christianisme. Grâce à l’impératrice Eusébia, épouse de Constance II, qui l’appréciait beaucoup, il obtint l’autorisation de se rendre à Athènes, où il se lia même avec le futur saint Basile et le futur saint Grégoire de Nazianze.

C’est à lui que Constance II fit appel en 355 afin de faire face aux invasions barbares en Gaule. En effet, déstabilisé par Magnence, usurpateur du titre impérial de Constant (troisième fils de Constantin), Constance avait scellé un pacte avec les Germains en autorisant l’implantation des forces barbares entre le Rhin et la Moselle. Si Constance réussit ainsi à éliminer Magnence à la bataille de Mursa, l’empereur fut bientôt dépassé par les pressions barbares sur le territoire romain. Constance II décida alors d’envoyer Julien, son cousin, sous les encouragements de sa femme Eusébia, en le nommant César, alors qu'il venait d'assassiner le frère de celui-ci.

Julien lui-même commenta cette promotion dangereuse dans la Lettre aux Athéniens (361):

« Je ne dois pas omettre de raconter ici comment j'ai consenti et choisi de vivre sous le même toit que ceux dont je savais qu'ils avaient miné toute ma famille, et dont je soupçonnais qu'il ne leur faudrait pas beaucoup de temps avant de comploter contre moi. J'ai versé des torrents de larmes, j'ai poussé des gémissements. J'ai tendu les mains vers votre Acropole, quand je reçus l'appel, et j'ai prié Athéna de sauver son suppliant, de ne pas l'abandonner. »

Ammien Marcellin décrivit l’élévation de Julien comme César dans Histoire XV.

Julien avait des ennemis, et particulièrement les espions qui l’entouraient, envoyés de Constance II, comme les chefs d’état-major, Ursicin et Marcel.

Dans les premières années, Julien n’avait guère beaucoup de pouvoir en Gaule, malgré son titre de César : lui-même clamait qu’il était subordonné aux officiers et qu’il n’avait pas le pouvoir de rassembler des troupes, malgré les promesses retranscrites par Ammien Marcellin. Il semble effectivement que seuls Ursicins et Marcel avaient le pouvoir de commander.

Postérieurement, Eunape le confirmera dans La Vie des Sophistes en disant que Constance ne voulait pas que Julien commande en Gaule, mais seulement qu’il y meure.

Mais, un événement changea la situation : les Francs prirent Cologne, un point stratégique sur le Rhin. Julien intervient alors grâce à l’aide de Severus, ami qui fut nommé par Constance pour remplacer Marcel, incompétent. Très populaire auprès de ses soldats, Julien parvint à reprendre Cologne aux Francs, en commandant une armée gauloise.

Par la suite, Julien fut confronté à d’autres barbares, les Alamans, qui occupaient notamment le site de Strasbourg. Il attira les Alamans dans un get-apens près de Strasbourg, à la bataille d’Argentoratum, en août 357. Les Alamans défaits (6000 morts contre 243 dan le camp romain selon Ammien Marcellin) laissèrent de nombreux prisonniers, dont leur roi Chnodomar, que Julien envoie captif à Rome. Julien reprit l’offensive et par trois fois, franchit le Rhin et porta la guerre sur le territoire des Alamans (357, 358, 359). Entre temps, Julien avait installé son quartier général à Lutèce, située non loin du Rhin, délaissant Trèves et Milan.

Julien réussit à ramener la paix et la sécurité en Gaule, il s’est avéré un grand homme d’action, très populaire chez ses soldats, ce qui eut de grosses conséquences.

Mais l'élimination de Gallus seulement trois ans après qu’il ait été fait César ramèna Julien à la réalité, et ce fut le commencement d’une nouvelle période de sa vie.

            Julien était décrit comme très religieux et mystique, très chaste également, mais il était aussi très nerveux malgré son aspect frêle : Julien était avant tout un homme d’action, et non pas seulement un homme de contemplation.

Julien réussit à ramener la paix et la sécurité en Gaule, ses troupes étaient donc moins actives.

En 359, il reçut un message amené par un tribun des notaires, Decentius. La missive avait été envoyée par Constance II, alors que celui-ci venait d’être battu, le 6 octobre, par le roi des Perses au pied de la ville d’Amida.

Constance II exigeait l’envoi en Orient de quatre unités d’élite stationnant à Lutèce (les Aeruli, les Batavi, les Petulantes et les Celtae). Julien perdait ainsi les 2/3 de son armée.

On peut penser à une fragilisation de la part de Constance II, en même temps qu’un appel pour du renfort. Or, les troupes de Julien étaient peu enclines à partir, et furent poussées à la révolte par un ami de Julien, le médecin Oribase.

Ammien Marcellin dans Histoire XX raconte la révolte des soldats et l’acclamation de Julien dans la tradition germanique : celui-ci est hissé sur le pavois. On lui fit mettre le diadème, qui se résumait à un insigne de porte enseigne d’un des soldats, symbole de la consécration divine.

Le César devenait co-Empereur.

Julien raconta lui-même sa surprise, puis, dans son incertitude, sa prière à Zeus pour l’aider à surmonter la tâche qui l’incombait selon Libanius.

Cette grande réticence n’est pas sans rappeler celle avec laquelle les grands empereurs du haut empire prirent le pouvoir. Il s’agissait donc d’une usurpation, mais d’une usurpation involontaire de la part de Julien. D’ailleurs, lorsque Constance II est mis au courant, il ne voulut pas y croire, persuadé de l’honnêteté de Julien.

Quoi qu’il en soit, Julien tenta de faire accepter la décision à Constance II, mais ce dernier refusa de l’admettre.

Julien traversa alors les provinces danubiennes avec une armée qui ne dépassait pas les 25 000 hommes. Mais Constance II ne rencontra jamais l’armée de Julien car il mourut le 3 novembre 361, à Tarse, et désigna Julien comme son successeur.

         En 361, Julien devint le seul Auguste de l’Empire romain. C’est alors que le « masque tomba » comme beaucoup d’auteurs ayant écrit sur Julien l’affirmèrent. Julien annonça publiquement son paganisme.

Son dessein apparu au grand jour : rétablir les traditions anciennes, revenant sur la révolution enclenchée par son oncle Constantin Ier.

En effet, selon Ammien Marcellin, « son oncle avait été novateur et violateur acharné des lois et des coutumes instaurées depuis les temps anciens. »

D’abord, Julien entreprit des démarches inverses à celles qu’avait pu entreprendre Constantin Ier.

Paul Veyne, dans Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), parle alors d’une « parenthèse chrétienne » ouverte par Constantin en 312, mais qui pouvait encore se refermer à jamais. En bref, Julien savait que rien n’était encore joué.

* Il promulgua un Edit de tolérance en 362, autorisant toutes les religions, abrogeant également les mesures prises non seulement contre le paganisme mais aussi contre les juifs et chrétiens qui ne suivaient pas le credo d’inspiration arienne. Selon Paul Petit, Julien espérait affaiblir le christianisme en ranimant les querelles intestines.

* Julien repris le titre de Grand Pontife au sens originel, relèva les temples, restaura les prêtres dans leur fonction. Il remplaça les notaires technocrates de Constance par des élèves de Libanius, et nomma de nouveaux gouverneurs, vicaires (responsable d’un diocèse subordonné au préfet du prétoire, mais supérieur au gouverneur) et préfets…choisis parmi les païens.

* Puis, il alla droit au but en promulguant des lois anti-chrétiennes, le 17 juin 362, comme les lois interdisant aux chrétiens d'enseigner la poésie classique parce qu'elle évoquait des dieux qu'ils refusent.

* En revanche, il refusa toujours les persécutions, (malgré quelques exécutions de soldats résistants), en affirmant que les chrétiens devaient reconnaître leurs erreurs par eux-mêmes.

Gibbon, dans Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, parla du système très ingénieux utilisé par Julien afin de parvenir à ses fins sans être coupable de persécutions. Il autorisa par exemple la reconstruction du temple de Jérusalem, qui faisait ainsi mentir le Christ qui, dans l’Evangile de Marc, de Matthieu et de Luc annonçait la destruction du temple :

« Les jours viendront où il ne restera pas une seule pierre posée sur une autre de ce que vous voyez-là ; tout sera renversé ».

Ainsi, Julien avait une certaine considération pour les Juifs dont il reconstruisait le temple. En effet, pour lui, le christianisme étant une déformation du culte de Yahvé.

* Julien prit aussi modèle sur l’Eglise chrétienne afin de réformer les institutions païennes = il la hiérarchisa sous ses grands prêtres, assimilés à des évêques, chargés des sacrifices et les cérémonies, mais il créa également des institutions charitables et invita donc à pratiquer les vertus chrétiennes de charité envers les pauvres et les malades, d’ascétisme… en hommage involontaire à l’adversaire => réminiscences de son éducation.

Julien désirait revenir à un système moins autocratique et plus conforme à la tradition républicaine : il était partisan d’un principat libéral.

* Il réorganisa donc et assainit l’administration en réduisant le personnel du palais et celui qui était affecté à l’espionnage et la délation (les notaires).

* En accord avec son mode de vie sobre, il réduisit le cérémonial et l’apparat de la cour. Il expulsa notamment les serviteurs du palais.

* Il rendit au Sénat ses anciens privilèges : immunités fiscales et judiciaires.

* Il rendit aux curies (les lieux de rassemblement du conseil municipal en province) le droit de perception des impôts, les repeupla de personnes capables d’assumer financièrement cette charge et dispensa la curiale de chrysargyre (impôt reçu en métaux précieux). 

* Il tenta de rendra la justice personnellement autant que possible et fit réduire le temps d’attente des procès ;

* Il essaya de réduire les charges qui accablaient certaines classes sociales, en s’opposant notamment aux arriérés d’impôts qui ne profitaient qu’aux riches. Il restitua également aux cités leurs biens communaux confisqués par Constantin :

ex. dans le Misopogon, il affirma au sujet des Antiochiens :

« il y avait trois mille lots de terre en friche et vous avez demandé à les prendre. Mais après les avoir pris, vous les avez répartis entre des gens qui n’en avaient pas besoin. »

Il s’agissait d’une grosse erreur commise par les habitants d’Antioche. Julien désigna alors les fraudeurs pour les liturgies municipales les plus lourdes.

D’ailleurs, l’épisode d’Antioche est l’un des faits majeurs de la fin du règne de Julien.

Julien s’installa à Antioche en 362 afin de préparer une expédition militaire contre la Perse :

-         selon Libanios entreprise afin de réconcilier les païens et les chrétiens et de restaurer l’unité nationale afin de restaurer l’unité héréditaire ;

-         Julien a voulu suivre l’exemple d’une de ses idoles, Alexandre le Grand : il était lui aussi attiré par le mirage oriental.

Mais à Antioche, il fut très mal accueilli par la population de la ville, et se fâcha avec elle pour plusieurs raisons :

* son paganisme d’abord – il exhuma les restes d’un martyr local, Saint Babylas et fit fermer la cathédrale, alors qu’Antioche était l’un des grands patriarcat chrétien ;

* sa rigueur morale ensuite qui contrastait trop violemment avec les débordements habituels des Antiochiens et les clivages sociaux très marqués au sein de la cité.

Julien était impopulaire, mais cela ne l’empêcha pas, au printemps 363, de lancer sa vaste expédition militaire.

          Le 5 mars 363, Julien quitta Antioche accompagné de son armée gauloise et des troupes du Roi d’Arménie Arsacès.

L’Empereur perse Shapur II avait pris Amida, Singara et Bezabdé, à l’insu de Constance II. Julien, désireux de venger les défaites subies, et se laissant éblouir par le mirage oriental comme Alexandre, partit à la tête d’une armée 65 000 hommes, pénétra dans le territoire perse en suivant l’Euphrate. De son côté, une troupe de 30 000 hommes commandées par Procope devait longer le Tigre et opérer la jonction avec les troupes de Julien. Après de multiples succès (occupation de Zaïtha, de Birtha),  il franchit le Tigre de nuit puis renonca au siège de Ctésiphon, capitale perse. Il entama ensuite une marche vers le nord mais fut tué lors d’un combat d’arrière-garde (afin d’empêcher la déroute de son armée) le 26 juin 363.

Le corps de Julien fut ramené à Tarse, où il fut inhumé.

Les récits de sa mort illustrent parfaitement la double légende forgée autour de Julien :

-         la légende dorée autour d’un empereur digne des grands empereurs du Haut Empire.

Cf. l’historien Eutrope, qui participa à l’expédition contre les Perses, dans l’Abrégé de l’Histoire romaine.

« il n'était pas sans rappeler beaucoup Marc Antonin, qu'il s'étudiait d'ailleurs à prendre pour modèle.

Cf. Libanius, dans son éloge funèbre :

Il voyait en Julien un héros admirable, digne d'Auguste ou de Trajan, presque un nouvel Énée.

-         la légende noire d’un empereur qui voulut saper le christianisme, alimentée par les auteurs ecclésiastiques qui racontèrent que saint Basile le Grand, contemporain de Julien, avait eu, lors d’une nuit de prière, une vision prémonitoire : Julien l’Apostat était terrassé par la flèche d’un ange et celui-ci s’écriait avant de mourir « Tu as vaincu, Galiléen !»

Malgré toute l’énergie déployée par Julien, son action s’est bien vite avérée vaine. Chaste, Julien ne désirait pas d’héritier mais voulait faire perdurer la tradition des Antonins en choisissant le « meilleur ». A sa mort, l’officier illyrien Jovien fut nommé empereur par les autres officiers de l’armée d’Orient, et abrogea les mesures anti-chrétiennes instaurées 

Mais Julien laissa tout de même un certain nombre d’œuvres qui nous avons conservé, et qui prouve les affinités particulières de Julien pour :

- l’hellénisme et la philosophie néo-platonicienne même s’il clama qu’il n’était guère un philosophe affirmé mais un simple étudiant.

Cf. textes philosophico-politiques comme la Lettre aux Athéniens ou La Lettre à Thémistios, également philosophe, dans laquelle il affirme :

« Que personne ne me vienne diviser la philosophie en plusieurs parties, ou la découper en plusieurs morceaux, ou plutôt en créer plusieurs à partir d'une seule ! La vérité est une, et semblablement la philosophie est une. »

- le paganisme et une aversion contre les Chrétiens :

- Sur la Mère des Dieux, au sujet de la divinité Attis, sur le culte de Cybèle (mère des dieux) et autres mystères,

- l’Hymne à Hélios-Roi, dans lequel il affirme que le soleil est l’image visible de Dieu, revenant ainsi au monothéisme solaire, le Sol Invictus, de Constance Chlore et Constantin.

- Contre les Galiléens, fut détruit par la suite car jugé démoniaque.

- A la fin de son pamphlet Caesares, il lança une invective contre Jésus, toujours prêt à pardonner les crimes par le baptême, comme les meurtres commis par Constantin Ier et Constance II.

Cf. Panégyrique en Gaule, rédaction d’un panégyrique de Constance II : selon les auteurs d’aujourd’hui comme G.W. Bowersock, Julien était jeune et ambitieux, et profita donc de l’occasion pour innocenter Constance II des meurtres commis après la mort de Constantin. Ainsi, Julien mettait ainsi son pire ennemi en confiance puisque semble-t-il, il ressentait tout de même une rancœur très forte envers lui.

Cf. Second panégyrique qu’il rédigea sur Constance, référence à la querelle entre Achille et Agamemnon dans l’Iliade d’Homère. Julien observait qu’Agamemnon échoua à traiter avec son général modérément.

Le parallèle est aisé entre la relation d'Agamemnon et Achille et  celle de Julien et Constance II.

Enfin il rédigea un dernier panégyrique certainement sincère pour Eusébia, épouse de Constance, qui lui fut très favorable.

- des œuvres plus personnelles :

- Consolation pour lui-même pour le départ de l’excellent Salluste, loin des Gaules.

Cette œuvre est exclusivement philosophique, et un éloge de son meilleur ami. Il compare leur amitié à celle de Périclès et Anaxagore, et affirme qu’un lien commun persiste entre eux : la pensée, qui les unit à jamais.

- ouvrage satirique : le Misopogon, ou l’ennemi de la barbe (donc l’ennemi de Julien, qui avait une barbe de philosophe tout comme Marc-Aurèle), Julien met en évidence la haine qu’il inspire, notamment chez les Antiochiens.

Mais on lui a souvent associé des constructions qui n’étaient pas de son fait, notamment les importantes ruines d’un somptueux établissement de bains publics et de son célèbre frigidarium (bain froid) que l’on peut aujourd’hui voir à l’angle de la rue Saint-Michel et de la rue du Sommerard, et qui datent en réalité de Constance Chlore.

Mais il n’y a pas que ses œuvres qui lui survécurent pas : sa légende noire forgée dès son vivant lui survécut également. En effet, au Moyen Age, Julien l’Apostat est apparu comme un monstre sanguinaire, qui profanait les tombeaux chrétiens et qui aurait certainement fini par persécuter ces mêmes chrétiens s’il avait vécu plus longtemps.

Mais le doré de la légende forgé par Julien lui-même, par Ammien Marcellin et tant d’autres païens, est parvenu à retrouver de son éclat grâce aux philosophes des Lumières anti-cléricaux, comme Voltaire, qui, délaissant tout préjugé religieux dans son Dictionnaire Philosophique plaça Julien II au rang du plus grand empereur philosophe :

« La saine critique s’étant perfectionnée, tout le monde avoue aujourd’hui que l’empereur Julien était un héros et un sage, un stoïcien égal à Marc-Aurèle. »

[1] Hiérophante : prêtre qui explique les mystères du sacré.

[2] Néo-platonicien : conciliait la philosophie de Platon avec certaines doctrines religieuses orientales de l’Egypte et de l’Inde. Elle a pour but la résolution du problème de l’Un et du Multiple. Il s’agissait surtout de comprendre comment passer de l’Un au Multiple, alors que nous constatons ce Multiple dans la nature, mais que l’Un est le fondement de l’intelligibilité. 


30 septembre 2007

Cassandre selon Ronsard

Suite à un commentaire de Morgane la Fée, je vous propose un petit moment de littérature avec la magnifique chanson 99 des Amours de Ronsard.

Morgane me parlait donc, dans son commentaire, de la très belle légende de Cassandre, prophétesse condamnée à n'être crue après avoir refusé ses faveurs à Apollon. Entre Cassandre troyenne fille de Priam et soeur d'Hector, et Cassandre Salviati, il n'y a qu'un pas dans les poèmes de Ronsard. Entre l'Asie Mineure et le château de Talcy - où vécu la belle Cassandre Salviati -, la distance spatiale et temporelle, et même la distance entre mythologie et réalité, réalité et imaginaire littéraire, s'estompe...

talcy

D'un gosier machelaurier

J'oi crier

Dans Lycofron ma Cassandre,

Qui profetise aus Troïens

Les moïens

Qui les tapiront en cendre.

Mais ces pauvres obstinés,

Destinés

Pour ne croire à ma Sibylle,

Virent, bien que tard, apres,

Les feus Grecs

Forcenés parmi leur ville.

Aïans la mort dans le sein,

De leur main.

Plomboient leur poitrine nue:

Et tordant leurs cheveux gris,

De lons cris

Pleuroient, qu'ils ne l'avoient creüe.

Mais leurs cris n'eurent pouvoir

D'émouvoir

Les Grecs si chargés de proïe,

Qu'ils ne laisserent sinon,

Que le nom

De ce qui fut jadis Troïe.

Ainsi pour ne croire pas,

Quand tu m'as

Prédit ma peine future,

Et que je n'aurois en don

Pour guerdon

De t'aimer, que la mort dure,

Un grand brasier sans repos,

Et mes os

Et mes nerfs, et mon coeur brûle:

Et pour t'amour j'ai receu

Plus de feu,

Que ne fit Troïe incredule.

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19 septembre 2007

La religion grecque antique

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A nos yeux, la religion grecque se résumait à un panthéon de dieux dirigés par Zeus, qui logeaient sur le Mont Olympe et qui étaient secondés par des centaures et des nymphes. Nous avons donc une image très « fantasiesque » (Cf. Walt Disney) de ce qu’était la religion grecque. Ce n’est finalement qu’en étudiant précisément l’histoire antique (de la fin du Ve à la fin du IVe siècle avant JC) que j’ai réellement connu la civilisation grecque, et que j’ai laissé de côté mes préjugés qui n’étaient en réalité que des anachronismes. Qui envisage actuellement sans difficulté une religion sans dogme ou Eglise, sans prophète ni livre sacré ? Pourtant, ce n’est qu’en acceptant qu’une croyance puisse se comprendre sans ces « artifices » qu’il est possible d’envisager la religion grecque.

L’attitude religieuse de l’homme grec répondait à deux caractéristiques principales qui se rejoignent : d’abord, l’expérience du sacré était diffuse. Elle s’étendait aux temps et aux lieux de la vie quotidienne grecque, comme par exemple le foyer familial, où un feu protecteur dédié à Hestia brûlait en permanence. Ensuite, il existait un véritable rapport de familiarité entre l’homme grec et les dieux, ces derniers marquant chaque moment de l’existence du Grec. En conséquence, il est presque impossible d’envisager que l’homme grec puisse ne pas croire dans ses dieux, car ce serait, pour lui, une négation d’une grande partie de sa vie quotidienne.

Mais l’intérêt de cette analyse est de montrer que, contrairement à ce que l’on pourrait croire aux vus de ces deux caractéristiques, l’expérience du sacré était omniprésente dans l’existence du Grec et était en même temps « légère », non oppressive psychologiquement et socialement.

Nous commencerons par présenter ce que la religion grecque n’était pas, puis sa réalité ; ensuite, nous constaterons les lacunes de la religion homérique et les conséquences qui en résultèrent : l’apparition des sectes et des mystères ; enfin, nous exposerons la crise de la croyance dans le mythe qui apparut dès le VIe siècle avant JC et les réactions de la cité.

Comme nous l’avons déjà vu, la religion grecque, polythéiste, ne répondait d’aucun dogme ou Eglise. Il n’y avait aucune révélation, prophète, livre sacré ou caste sacerdotale. Le silence était également fait sur la création du monde et des hommes : la cohabitation entre les dieux et les hommes durait depuis toujours, et ne devait pas donner lieu à des questions inutiles. A ce stade de constatation, il semble donc difficile de parler d’une « religion » des Grecs comme nous l’entendons aux vus des religions monothéistes actuelles. Mais alors, en quoi consiste cette religion grecque ?

Le noyau de la religion grecque était l’observance des cultes et des rites. Cependant, si la crainte du courroux des dieux était réelle, l’observance scrupuleuse n’était pas une obsession. Cf. Hérodote rapporte une anecdote au sujet du retour du tyran Pisistrate à Athènes après son exil (vers -554) avec une jeune fille déguisée en Athéna. L’objectif était de faire croire aux Athéniens que le retour de Pisistrate était la volonté de la déesse poliade. Cet événement prouve la familiarité des Grecs avec les dieux et le peu de crainte de commettre un sacrilège en utilisant l’image de la déesse pour une tromperie.

Cependant, pour les Grecs, l’intervention des puissances surnaturelles pouvait bel et bien être perturbatrice et destructrice. Il s’agissait donc de conjurer la violence négative par un rite propitiatoire (en général une offrande votive accompagnée d’invocations et de prières, et surtout d’un sacrifice animal qui doit se dérouler dans les règles). Le rite assurait la bonne marche des relations entre les hommes et le sacré, car la vengeance divine sur un coupable pouvait se répandre sur l’ensemble de la communauté et sur la descendance du contaminé : ce dernier était atteint de miasma, i.e. souillure, et était banni ou purifié par une ablution dans l’eau. Ce fut le cas des membres de la famille des Alcméonides (lignée de Clisthène, Périclès et Alcibiade), qui mirent à mort le tyran Cylon en -632 alors que celui-ci s’était réfugié sur l’Acropole, un espace sacré. Ils commirent donc un sacrilège qui entacha la réputation tant de Clisthène que de Périclès et Alcibiade, les trois plus grands personnages politiques athéniens. 

La religiosité grecque était le produit de la poésie épique (comme l’Iliade d’Homère et la Théogonie d’Hésiode). L’épopée avait pour toile de fond les récits mythiques traditionnels sur les divinités et formait l’ensemble du savoir social sur les dieux. C’était grâce à l’épopée que l’aristocratie grecque se célèbreait : la religiosité grecque était ainsi un polythéisme anthropomorphique, car le seuil qui distinguait dieux et héros aristocratiques était franchi grâce à la généalogie (qui garantissait aux héros une parentèle divine, par exemple Thésée, fondateur mythique d’Athènes et père de l’aristocratie de la cité, était considéré comme un descendant de Poséidon ou d’Egée selon les versions), et les relations constantes entre héros et dieux.  En résultait un enchevêtrement entre le monde des dieux et le monde des hommes. Les divinités se voyaient attribuer des traits spécifiquement humains (blessure, amour, jalousie…) et n’étaient pas omniscients. Ils restaient cependant les plus forts, avaient de multiples pouvoirs signalés par les épiclèses : Zeus est Zeus des serments, Zeus des frontières, Zeus des protecteurs et des suppliants…mais chacun gardait son unité essentielle. En conservant l’exemple de Zeus, ce dernier était le principe de la souveraineté légale et le garant universel de l’ordre du monde. Le panthéon grec comptait douze grands dieux (Zeus, Héra, Apollon, Artémis, Aphrodite, Déméter, Héphaïstos, Poséidon, Hermès, Arès, Dionysos et Athéna) auxquels s’ajoutèrent d’autres divinités à l’époque classique (Eirènè, la Paix, Dikè la Justice, Amon ou Isis par syncrétisme). Toutes étaient intégrées à la sphère de la polis, protègent les guerres, les promulgations de lois, les actes de mariage…Les magistrats eux-mêmes (comme les archontes athéniens et les éphores spartiates) remplissent des fonctions sacrées. Il ne faut cependant pas oublier que chaque cité possédait son propre panthéon, et le plus connu (cité plus haut) est bien évidemment celui d’Athènes. En revanche, si celui des autres cités, comme celui de Sparte, était composé de personnalités différentes, il gardait toujours le même nombre de dieux.

Le sacrifice aux divinités olympiennes constituait un moment clé de ce que Platon appelait « l’amitié entre les hommes et les dieux ». La fracture entre les deux mondes provoquée par la ruse du titan Prométhée (qui trompa Zeus en lui proposant les os enrobés de graisse, et favorisa les hommes en leur laissant la viande comestible) n’était pas effacée par le sacrifice mais était harmonieusement recomposée. Le sacrifice était suivi du banquet collectif, auquel participaient tous les citoyens. Les parts de viande étaient distribuées le plus souvent selon le respect de la hiérarchie sociale (les meilleurs morceaux étaient réservés aux plus hauts placés), mais la distribution pouvait aussi être déterminée par tirage au sort, selon la logique démocratique athénienne. Le rite sacrificiel se déroulait dans le cadre d’une fête, comme les Panathénées athéniennes qui autocélébraient le corps social par une procession où étaient représentés tous les membres de la société athénienne (même les exclus comme les femmes ou les métèques). Platon parlait d’ « intervalles de repos » pour qualifier ces fêtes… cent jours par an y étaient consacrés dans l’Athènes du Ve siècle. Les sacrifices dédiés aux divinités chtoniennes, liées au monde des morts, étaient différents : ils étaient réalisés à même le sol et se terminaient par holocauste complet (il n’y avait donc pas de banquet). Il s’agit d’un versant obscur du rite sacrificiel, sur lequel nous savons peu de chose, ce qui indique l’ombre jetée sur des problèmes existentiels liés à la mort.

La religion grecque avait donc des lacunes, et cela a eu des conséquences : les Grecs n’ont jamais construit aucun temple, ni rendu aucun culte à Hadès, dieu des Enfers et des morts. C’était là la grande limite de cette religiosité publique, sociale, communautaire qu’était la religion olympienne. Pour répondre à ces questions existentielles est apparue une expérience religieuse différente : le mystère. Ces pratiques secrètes (de mustèria, i.e. secret) étaient ouvertes à chaque citoyen mais aussi aux exclus de la polis comme les femmes, les esclaves et les étrangers. Leur but était de permettre l’espérance d’un salut et d’une délivrance de la mort – c’est le cas des mystères d’Eleusis qui faisaient clairement référence à la succession de morts et des renaissances du cycle végétal en célébrant Déméter et sa fille Koré la Verdoyante (enlevée par Hadès, et qui devenait Perséphone à certaines périodes de l’année). Ces mystères étaient dirigés et protégés par la cité car ils représentaient un complément nécessaire aux cultes publics. Il en fut autrement pour les sectes savantes et religieuses.

Il existait trois sectes principales :

* le mouvement orphique qui concernait les exclus de la polis (femmes, étrangers, communautés périphériques, intellectuels marginalisés...). Il s’agissait d’une alternative radicale à la religiosité olympienne de la cité, considérée comme violente, prônant l’exclusion et l’oppression. Son but était de permettre à l’homme de purifier son âme et son corps de plusieurs fautes. D’abord une faute originelle : les hommes seraient nés de la poussière des Titans foudroyés après avoir dévorés Dionysos (selon un mythe orphique, Dionysos aurait été dévoré par les Titans). Ensuite, une faute commise par une âme immortelle placée dans le corps mortel pour l’expier (un meurtre, un parjure). Enfin, la faute de sang qu’était le sacrifice. L’homme était puni de cette triple faute par l’angoisse qui accompagnait l’attente de la mort. Pour se purifier, l’orphisme prônait une vie ascétique, un renoncement à l’alimentation carnée, l’abstinence sexuelle…et s’en remettait à Apollon Kathartès, le « purificateur ».

* le mouvement dionysiaque ou bachique était contraire au mouvement orphique puisqu’il endossait un caractère libératoire et effréné, mais il était lui aussi en protestation contre la cité.

* le mouvement pythagoricien qui développait la conception orphique du salut et croyait en une réincarnation de l’âme jusqu’à sa purification complète pour qu’elle retourne au divin. Perduraient les renoncements et abstinences, mais s’ajoutait la consécration totale au savoir théorique (mathématiques, géométrie, philosophie…).

L’existence de ces sectes contestataires indique une certaine « crise de la croyance » qui résultait d’une tension de plus en plus grande entre la rationalité politique et philosophique et l’univers du mythe. Par exemple, dès le VIe siècle, Xénophane adoptait un ton critique vis-à-vis de l’anthropomorphisme mythique de la tradition homérique. Pour les Grecs, les dieux avaient l’apparence des hommes, mais selon lui, si les chevaux savaient dessiner, ils représenteraient des dieux ayant l’allure de chevaux.

La pensée philosophique a expliqué ce bagage mythique traditionnel, qui tombait progressivement en désuétude :

- La première explication serait de type politique : ces dieux auraient été inventés pour inculquer le respect de la loi et provoquer une crainte de la punition divine aux simples d’esprit.

- La seconde explication aurait été son interprétation allégorique : le mythe exprimerait une vérité philosophique sous couvert de poésie toujours pour les simples d’esprit (par exemple, le char d’Apollon = course du soleil).

Pour les philosophes, la religion mythologique était néfaste et la cité devait fonder ses institutions sur une nouvelle théologie dominée par la divinité des astres et la providence divine qui garantit l’ordre du cosmos.

Mais pour défendre sa religion olympienne, la polis a réagi :

-          elle a intégré les cultes dionysiaques au sein de la religion civique ;

-          elle a rejeté les initiés orphiques ;

-          elle a chassé les pythagoriciens lors de pogroms sanglants comme à Crotone en 450, où ils voulaient imposer un régime politique.

En général, la polis était cependant assez tolérante envers les pratiques religieuses et il n’y a jamais eu de persécutions d’hérétiques.

Pourtant, on note deux exceptions : Anaxagore en 440, qui considérait le Soleil, figure apollinienne par excellence, comme un agrégat de matière incandescentes mais qui était surtout proche de Périclès), et qui fut exilé.

                                                                                   Socrate en 399 à Athènes qui fut accusé de corrompre la jeunesse athénienne en important de nouveaux dieux comme son daemon et qui était surtout proche de Critias, meneur du coup d’Etat de 404. Il sera condamné à mort.

La condamnation était donc plus de nature politique que religieuse.

En conclusion, être croyant en Grèce, c’était être un bon citoyen. Pour cette raison, la polis se réservait le droit de légiférer sur la composition de son propre panthéon (Athènes autorisa l’admission d’Asclépios en 420). La religion était aussi le moyen d’unir le monde grec tout entier (amphictyonies, Jeux Olympiques…) Accepter la religion olympienne, ce n’était donc pas seulement être un bon citoyen, mais c’était aussi être Grec. 

17 septembre 2007

Elizabeth, l'Age d'Or


Elizabeth the golden age
Vidéo envoyée par Cinerie

Pour ceux qui ne parlent pas anglais, la bande annonce est plutôt mal venue, car elle n'est pas sous-titrée. Mais ce film a l'air absolument fabuleux : il s'agit de l'histoire de la reine Elizabeth Ier d'Angleterre, la "Reine vierge", face à la menace de l'Invincible armada de Philippe II d'Espagne, à la rivalité qu'elle entretient avec la reine catholique d'Ecosse Marie Stuart... Cate Blanchett a toujours été extraordinaire dans ses rôles, elle ne nous décevra pas une fois encore, je le sens. Sortie le 12 décembre en France.

15 septembre 2007

"Le plus bel animal du monde"-Ava Gardner

Suite à une demande, je publie un article succinct au sujet d’une star de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Je le place dans la catégorie : Personnages historiques…oui, même les acteurs font partie de l’histoire. J’ai choisi, pour commencer, une très belle femme : Ava Gardner.

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La « comtesse aux pieds nus » est une femme de légende, inaccessible et mystérieuse. Pourtant, elle laissa à sa mort, le 25 janvier 1990, des Mémoires exceptionnelles retraçant sur un ton décontracté son parcours d’actrice mondialement connue. Cette simplicité tranche complètement avec le souvenir que nous avons des actrices d’Hollywood : la mine toujours triste et hautaine d’une Greta Garbo, le regard méfiant et glacial d’une Lauren Bacall, la beauté parfaite et froide d’une Grace Kelly. C’est ce qui est intéressant dans le cas d’Ava Gardner : fille de fermiers, elle affirmait aimer sentir « le contact de la terre cuite par le soleil, de l’herbe verte, de la boue meuble et de l’eau des ruisseaux. » Nous voilà bien loin de la cold cream, des robes de satin noir et des talons hauts.

Petite dernière d’une famille de sept enfants, née le jour de Noël 1922 à Grabtown, en Caroline du Nord, Ava est un déjà un fillette magnifique, mais aussi un véritable garçon manqué : « J’adorais le sport, l’action, et je pouvais rivaliser avec la plupart des garçons. » Mais bien vite elle caresse le rêve d’être chanteuse, puis actrice de théâtre : elle devra renoncer aux deux carrières, atteinte d’une timidité maladive. Qui l’aurait cru ? Résignée, Ava entame à dix-sept ans des études de sténodactylo pour devenir secrétaire…mais son beau-frère, le photographe Larry Tarr, remarque son exceptionnelle beauté, et expose un portrait d’elle dans la vitrine de son studio de la Cinquième Avenue. Ce dernier prend également l’initiative d’envoyer les clichés à la Metro-Goldwyn-Mayer.

Ava est convoquée pour un bout d’essai, mais son accent sudiste « à couper au couteau » la condamne à poser pour les photographes. Elle ne devait pas ouvrir la bouche ! En août 1941, elle signe alors le fameux contrat de sept ans avec la MGM, lui offrant le salaire, exorbitant à ses yeux, de 50 dollars par semaine. Elle est ravie à l’idée de côtoyer Clark Gable et Joan Crawford, ses deux idoles, mais ne mesure par les contraintes que lui impose ce contrat : il lui est interdit de quitter Los Angeles, de se marier sans permission, et des contraintes financières lui seront imposées si elle venait à avoir un enfant (ce qui explique les multiples avortements des actrices pendant l’Age d’Or du cinéma américain. Comme quoi, cet Age n’était pas seulement fait d’Or…). Sa spécialité devient la photo de genre. Elle dira non sans humour : « Je ne me rappelle pas combien de maillots de bain j’ai usés sans toucher jamais la moindre goutte d’eau. J’ai lancé assez de regards de braise dans ce studio pour faire fondre le pôle Nord. »

Mais les photos d’Ava sont vite remarquées par l’un des enfants terribles d’Hollywood : Mickey Rooney, qui devient son amant. Elle insiste pour qu’il l’épouse, ce dernier en obtient l’autorisation, et ils se marient le 10 janvier 1942.

                                                            

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Hélas, Mickey Rooney, âgé de 22 ans, ne prend pas vraiment au sérieux son rôle de mari, et laisse une place primordiale dans son emploi du temps aux terrains de golfs et aux jolies filles. Ava ne le supporte plus : ils divorcent le 21 mai 1943.

               Seule, elle se laisse courtisée par le milliardaire Howard Hugues, producteur et passionné d’aviation qui bat de véritables records. Si ce sujet vous intéresse, voyez le film Aviator de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio dans le rôle de Hughes, et Kate Beckinsale dans le rôle d’Ava.

               C’est à cette époque qu’elle tourne son premier film, We Were Dancing, où elle ne fait en réalité que passer. Il faut attendre 1944 et Trois Hommes en blanc de Willis Goldbeck pour que la critique l’apprécie à sa juste valeur : la MGM quadruple son salaire. Mais le film qui la révèle véritablement est Les Tueurs, de Robert Siodmak, tiré d’une courte nouvelle d’Ernest Hemingway, qui fixe son image de femme fatale.

                                                

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Le 7 octobre 1945, Ava se remarie avec le brillant jazzman et chef d’orchestre Artie Shaw, de qui elle divorcera en 1946... Elle enchaîne les tournages, et apparaît en 1948 dans la comédie Un Caprice de Vénus, ce William A. Seiter, où le public découvre la sculpturale nudité par statue interposée, avant que la censure n’y jette pudiquement un drapé. En 1951, Ava joue un autre film clé de sa carrière : Pandora, d’Albert Lewin. Transposées dans les années 30 sur les bords de la Méditerranée, deux légendes s’entrelacent, celle du Hollandais volant, un marin du XVIIe siècle condamné à errer sur les flots pour flots pour l’éternité à moins qu’une femme ne soit prête à mourir pour lui, et celle de Pandore, première femme selon la mythologie grecque, que les dieux dotèrent de tous les dons, mais qui ouvrit la boîte où Zeus renfermant tous les maux. Ce film fait passer Ava de la « femme fatale » à la « femme totale », c’est-à-dire qu’elle se révèle dans la plénitude féminine, de la passion, de la sexualité mais aussi de l’âme, selon Edgar Morin.

Mais Ava semble vouée aux sacrifices dans ses films : Hollywood l’envoie aux quatre coins du monde pour tourner, et, dans presque tous les longs métrages, elle semble devoir s’effacer pour une autre. Par exemple dans Show Boat de George Sidney, où elle est la chanteuse mulâtre Julie Laverne, victime de racisme ; dans les Neiges du Kilimandjaro, très grand succès de l’année 1952, où elle est Cynthia, un personnage secondaire effacé par Susan Hayward, qui perd son enfant et trouve la mort pendant la guerre civile espagnole.

Enfin, en 1953, elle tourne un film où elle semble prendre le dessus : Mogambo, de John Ford. Clark Gable, Grace Kelly et Ava Gardner s’envolent pour l’Afrique de l’Est où ils passent un effroyable séjour. Chacun souffre des conditions climatiques, des maladies…Seule Grace Kelly surmonte l’épreuve sans dommage, tentant de redonner du courage à tous les membres de l’équipe. Franck Sinatra est aussi de la partie : il rejoint sa femme Ava (ils se sont mariés en 1951) en Afrique. Dans ce film, Ava oppose sa superbe maturité à la blonde pureté de Grace Kelly, et a bien du mal à ramener à elle Clark Gable, dont le cœur oscille entre les deux femmes. Ce film lui offre son unique nomination aux oscars de toute sa carrière.

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Après le tournage du film La Comtesse aux Pieds nus (1957) qui s’ouvre funestement sur l’enterrement du personnage qu’elle joue, aux côtés d’un Humphrey Bogart déjà ravagé pas la maladie, Ava Gardner s’installe en Espagne, lassée par Los Angeles et ses déboires sentimentaux avec Sinatra – avec qui elle divorce justement en 1957. Mais en 1968, le gouvernement espagnol lui réclame 1 million de dollars d’arriérés d’impôts : prise à la gorge, Ava va s’installer à Londres. Dès ce moment, elle mène une vie retirée, entourée de ses chiens. 


La Comtesse aux pieds nus 1954 (BA)
Vidéo envoyée par hoel6128

Considérée à distance comme « le plus bel animal du monde », Ava Gardner est parfois rappelée de sa retraite pour le tournage de certains films exceptionnels, dans lesquels elle apparaît dans toute sa splendeur mature : Les 55 jours de Pékin (1963), La nuit de l’Iguane (1964) où elle apparaît en tenue négligée et le chignon défait, La Bible (1966) où elle joue le rôle de Sarah, épouse d’Abraham. Mais bien loin de l'effervescence d'Hollywood qu'elle ne supportait plus, Ava mourut à Londres, seule, en 1990, regrettant amèrement l’enfant qu’elle a perdu et ses idylles passionnées, mais sans lendemain, dont la plus célèbre reste celle avec Franck Sinatra.

      

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11 septembre 2007

Kingdom of Heaven


Kingdom of Heaven
Vidéo envoyée par langewill

Pour tous ceux qui s'intéresseraient aux croisades, voici un film très réussi, très réaliste et très bien réalisé (par Ridley Scott, un maître du genre). Cette histoire vraie se déroule en 1187, et remet en place les circonstances de l'attaque de Jérusalem par Saladin et la défense de la ville sainte par Balian d'Ibelin. Si, bien sûr, le récit est très largement romancé, il ne manque pas de poésie, et prône avec force conviction la tolérance, la loyauté, le courage, le tout teinté d'un zeste de spiritulité qui ne gâche rien. A voir...

11 septembre 2007

Les castrats


Farinelli - Händel -Lascia ch'io pianga
Vidéo envoyée par Quarouble

Lascia ch'io pianga de Haendel, extrait du film Farinelli (1994) pour illustrer l'article sur les Castrats.

Le castrat est la figure par excellence de la musique baroque et du bel canto[1]. Il fascine aujourd’hui, et peut-être encore plus qu’au XVIIe et XVIIIe siècles. La raison en est simple : malgré les multiples prouesses informatiques effectuées à l’occasion du tournage du film Farinelli, en 1994, le médiocre enregistrement sur cylindre de cire du dernier castrat occidental, Alessandro Moreschi (1858-1922), et les personnalités lyriques actuelles qui tendent à une telle performance, rien ne nous permet désormais de nous délecter des sons extraordinaires qui émanent de sa gorge. En outre, cette personnalité hors du commun nous attire parce qu’elle nous apparait inhumaine, car privée de ce qui fait la virilité masculine, et surhumaine en raison de son timbre de voix unique, pouvant rivaliser de puissance avec une petite trompette. Le castrat est, à nos yeux, auréolé du mystère que lui procure sa condition presque tératologique. D’ailleurs, ne nous laissons pas aveugler par l’image laissée par le film de Gérard Corbiau : celle d’un castrat magnifique incarné par Stefano Dionisi. La castration enraye la croissance, et l'"homme" en conserve des séquelles : outre le son de sa voix, il est véritablement difforme. Ses membres sont grêles, sa peau imberbe et semblable à celle d’une femme. En revanche, sa taille est haute et sa cage thoracique masculine. Son physique est donc résolument disproportionné. Mais il envoûte tant son auditoire que celui-ci en oublie son physique ingrat, souvent atteint d’obésité, pour s’imaginer une créature divine.

Nous aboutissons donc à une question délicate : les castrats sont-ils des monstres ou des créatures divines ?

[1]Le bel canto est l’art du chant lyrique et de la recherche d’une grande virtuosité vocale.


La castration n’est certainement pas née au XVIIe siècle, ni même en Italie, d’où proviennent l’essentiel des grands castrats baroques : elle était pratiquée depuis des siècles dans les civilisations asiatiques ou orientales. Mais pour comprendre sa pratique en Occident, il est indispensable de se référer aux Saintes Ecritures : dans un passage de la première Epître de Saint Paul aux Corinthiens, il est clairement dit : « Que vos femmes se taisent dans les assemblées. » Le message étant on ne peut plus limpide, les femmes sont, dès le Moyen Age, interdites de séjour dans le chœur des églises, et les messes chantées sont le fait des hommes seulement. Mais cela n’est pas sans poser problème pour chanter les registres aigus, très en vogue à l’époque. En effet, alors qu’au XVIe siècle l’Eglise est secouée par la réforme, les chanteurs eunuques venus de lointaines contrées captivent les auditoires des églises, attirés là par leur performance : au départ donc, la castration n’a pas pour aboutissement les planches des opéras, mais bien les dalles froides des églises, et c’est le pape Clément VIII (1592-1605) qui autorise cette pratique afin de créer des voix angéliques pour honorer la gloire divine. D’un point de vue pratique, la castration consiste à enlever les testicules avant la puberté afin d’empêcher la sécrétion de testostérones et de priver l’individu de toute capacité de reproduction. La mue est ainsi bloquée, et le larynx, au lieu de s’allonger pour donner une voix plus grave, ne bouge plus. Le castrat a ainsi la voix cristalline d’un enfant, conjuguée à l’important volume de la cage thoracique masculine : Farinelli, de son vrai nom Carlo Broschi, (1705-1782), pouvait parcourir trois octaves avec la même puissance. Mais la formation d’un castrat est un travail difficile : théorie, pratique, gestuelle, art dramatique, culture antique et littérature sont au programme de leur éducation. Outre leur don, ces musici sont aussi, pour certains, de fins lettrés. C’est la ville de Naples qui s’est le plus clairement affichée comme centre de formation de castrats, avec quatre conservatoires : Sant'Onofrio, La Piétà dei Turchini, Santa Maria di Loreto et Li Poveri di Gesù Cristo. Etre castrat est devenu l’objectif de nombreux jeunes garçons, encouragés par leur famille, et chacun rêve d’être sous la responsabilité du célèbre Nicolo Propora. Mais la parfaite maîtrise de l’art, et la réussite de ces études restent excessivement rares et exceptionnelles : sur 4000 jeunes garçons émasculés par an à Naples au XVIIIe siècle, combien ont obtenu le succès fou d’un Cafarelli ? L’inverse est également valable : combien ont fini leur vie inconnus et plein de regrets, ne pouvant réparer l’irréversible ?

Les castrats connaissent leur heure de gloire lorsque le succès de la musique baroque est à son paroxysme : dans le baroque, tout est dans le mouvement, dans l’abandon de la ligne droite comme l’indique son nom barrocco, qui désigne une perle aux contours irréguliers. Style musical savant et sophistiqué, le baroque est fait de contrastes entre des notes tenues et courtes, graves et aigues. Tout dans le baroque se caractérise par la diversité, les contradictions et les différences : l’homme baroque lui-même recherche le dépassement des antithèses, et quelle personne mieux que le castrat peut permettre le dépassement de la distinction homme-femme ? Le succès, les castrats l’obtiennent dès le XVIIe siècle, comme le montre la gloire rapidement obtenue d’Alessandro Scarlatti vers 1680 et les opéras écrits pour eux tels que Le couronnement de Poppée de Monteverdi, et la Clémence de Titus de Mozart. Appesantissons-nous un instant sur un des grands compositeurs de l’époque, sinon le plus grand, Haendel (1685-1759) : lorsqu’il compose, les castrats sont au fait de leur gloire, les grands noms de l’époque sont Giuseppe Appiani ou encore Felice Salimbeni, très admiré par Casanova. Haendel crée des partitions spécialement pour certains castrats, comme le rôle de Didymus dans son Théodora pour Guadagni, ou encore l’opéra Bérénice pour Il Gizzielo. Mais une place de choix doit revenir à la relation entre Haendel et Farinelli : ce dernier a suivi les leçons de Porpora à Naples et sème une tempête d’admiration une fois arrivé à Londres en 1734. Mais là, le castrat refuse de chanter pour Haendel, qui ne cesse pourtant de lui faire des propositions alléchantes : Farinelli se produit même dans un théâtre rival à celui d’Haendel, provoquant la faillite de celui-ci. Le succès, les castrats ne l’obtiennent pas seulement auprès des compositeurs : ils sont véritablement adulés, leur voix pénètre avec une acuité jamais connue l’ouïe la plus délicate et la plus exigeante. Mais c’est surtout auprès des femmes que les castrats trouvent leur plus grand auditoire : celles-ci les auréolent de fantasmes, et l’eunuque privé de sa semence dangereuse devient l’objet privilégié du désir féminin. Ils sont invités dans toutes les grandes villes, les grands théâtres et les grandes cours, comme Farinelli en Espagne sous le règne de Philippe V. Mais s’ils peuvent remporter des succès exceptionnels, les castrats sont aussi la risée de certains, ce qui n’est guère de bonne augure pour leur avenir.

Les castrats, donc, ne font pas non plus l’unanimité. Les Anglais, par exemple, sont très fréquemment hermétiques à l’émotion transmise par ces personnages asexués, autant en raison du répertoire italien qu’ils produisent que de leur timbre de voix. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la dénonciation de la pratique de la castration devient plus fréquente : les termes péjoratifs sont de plus en plus usités afin de désigner les castrats (Castrone, i.e. gros castré ; Coglione, i.e. couillon…), et pour Jean Le Cerf de la Viéville, "Les voix perçantes des Castrats finissant par irriter et blesser l'oreille, et des chanteurs sont rapidement bien laids, bien ridés, vieux et fanés de bonne heure." Les castrats sont donc aussi l’objet de commentaires ironiques et hostiles qui les maintiennent, quoi qu’il arrive, à la marge de la société, malgré l’adoration dont ils sont les objets.

Si les castrats sont victimes de ce paradoxe dans la société, ils le sont aussi dans l’Eglise. Sollicités d’abord par cette dernière, la castration viole pourtant toutes les lois de la religion catholique, puisque la théologie affirme que nous ne sommes par propriétaires de notre corps, mais gardien de ce que Dieu nous a donné. L'Eglise, nous l’avons vu, gagne considérablement grâce à cette pratique. D’abord, très souvent, les chanteurs castrés sont voués à la vie ecclésiale, puisque leur émasculation est des plus bénéfiques en cas de tentation – l’éthique religieuse luttant pour prévenir les relations sexuelles hors mariage. En outre, ces chanteurs de qualités dans les églises garantissent une plus grande assiduité des fidèles, et donnent une grandeur incomparable à l’Eglise. Si effectivement, au début, l’Eglise fermait les yeux puisque les émasculations sont souvent justifiées par des causes accidentelles ou d’ordre médical - une des motivations les plus en vogue est la morsure de cygne ou d'une bête sauvage. Farinelli, lui, se justifia par une chute de cheval - rapidement le nombre de castrés augmente considérablement, ce que l’Eglise ne peut tolérer. Nombreux sont les mécènes qui prennent en charge de jeunes chanteurs, les castrent et les font travailler à un rythme effréné. Mais dans les rangs des religieux, les avis sur les castrats divergent : grâce à l'influence de Papes passionnés d'opéras tels Urbains VIII Barberini et Clément IX Rospigliosi, certains chanteurs de chapelle castrats sont autorisés, vers la moitié du XVIIème siècle, à apparaître dans des opéras. Plus tard, cette façon d'agir est désapprouvée par des papes plus rigoureux, notamment Clément XIV qui, à la fin du XVIIIe siècle, interdit la castration, et condamne ainsi l'existence des castrats.

Après l’interdiction énoncée par le pape Clément XIV, les castrats disparaissent progressivement, même si nous en connaissons jusqu’en 1922, notamment Alessandro Moreschi. Aujourd’hui, en l’absence de castrats, le répertoire destiné à ce genre de voix est chanté par des contre-ténors ou mezzo-soprano à la voix agile et étendue. Ce qui est certain, c’est qu’ils continuent de nous fasciner : le prouve la dernière exhumation des restes de Farinelli, enterré au cimetière de Bologne, afin d’obtenir des informations sur l’origine de sa voix extraordinaire, notamment la circonférence de sa cage thoracique et la taille de sa bouche. Mais notre fascination a des origines bien plus profondes qu’une quelconque admiration de leur performance vocales : à nos yeux, ils ne sont ni homme ni femme, ils ont une voix de femme dans un corps d'homme, sont l’union du masculin et du féminin, donc la plénitude retrouvée.

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L'Histoire n'est qu'une histoire à dormir debout
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